L’expression resting bitch face (littéralement avoir l’air d’une garce sans le faire exprès), devenue archi-courante outre-Manche, est en passe de le devenir ici. Que penser de cette nouvelle insulte, généralement réservée aux femmes ?
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore le concept, le resting bitch face (pour simplifier atténuer la charge offensive, disons RBF) désigne cet air de mépris et de désapprobation, qui, pour être subtil, n’en est pas moins immédiatement reconnaissable. Employée pour la première fois en 2013 dans une vidéo YouTube (quoique, à bien y réfléchir, ses origines soient probablement plus anciennes : regardez les images des hommes de Neandertal), l’expression a tout de suite rencontré un immense écho. Au point que des actrices américaines comme Anna Paquin et Anna Kendrick en sont venues à reconnaître en plaisantant qu’elle leur allait comme un gant. Et que, dans la foulée, des millions d’instagrameuses sont fébrilement allées reconsulter tous leurs posts pour voir si, par hasard, elles aussi ne souffraient pas du même syndrome. Aussitôt, faire la chasse au RBF est devenu un sport national. Et a fourni, du même coup, un énième motif pour critiquer le physique des autres et… douter du sien. C’est à ce moment de l’histoire qu’intervient Jason Rogers. Ce spécialiste en neurosciences du comportement est aussi consultant pour le groupe qui a créé FaceReader, un logiciel visagiste utilisé en pub et en marketing pour décrypter les réactions et les micro-expressions qui traversent le visage d’un consommateur.
De légères traces de mépris
Construit sur la base d’une série d’émotions élémentaires (tristesse, joie, colère, etc.), FaceReader permet d’analyser des réactions que le sujet lui-même est parfois incapable de qualifier. Un jour, en discutant à la sortie du collège de sa fille avec une mère qui se plaignait que son ado la narguait en permanence avec son RBF, Jason Rogers a une idée : pourquoi ne pas faire analyser quelques exemples de RBF par FaceReader pour voir comment il les interprète ? Bingo. Chez tous les cas typiques (Kristen Stewart, Victoria Beckham, January Jones…), le logiciel détecte de légères traces de mépris. Évidemment, l’expérience n’est pas irréprochable du point de vue scientifique. Pourtant, pour la première fois, on venait de capturer cet air de supériorité, ce quelque chose de l’ordre du jugement que l’œil détecte tout de suite, explique le scientifique. La découverte est riche d’enseignements. Tout d’abord, il peut manifestement y avoir RBF quand l’expression du visage est totalement neutre. Ensuite, cela ne veut pas dire que le sujet ressent vraiment du mépris ou une quelconque émotion d’ailleurs. Certains spécialistes avaient émis l’hypothèse que le RBF serait le signe d’une personnalité introvertie, voire d’un handicap social. Sauf qu’un ricanement méprisant ou un rictus sarcastique n’entrent pas dans la catégorie RBF. Le vrai RBF donne à l’interlocuteur la sensation qu’on le méprise, alors que pas du tout, ce qui explique que la plupart de ceux qu’on accuse de RBF se plaignent d’être incompris. Les émotions émanent du système limbique, qui se situe dans une zone très primitive du cerveau. Même complètement inconscientes, elles modifient nos interactions. Le système limbique enregistre un signal de mépris dans la nanoseconde où le cortex le détecte, avant même qu’une opinion consciente ait pu se former.
Une certaine conception de la féminité
En tout cas, l’expérience menée par Jason Rogers a clairement touché un point sensible. Quarante-huit heures après la publication de son post, le site de sa société avait reçu plus de visites que dans les douze mois précédents. Quels sont donc les signes distinctifs du RBF ? Cela se joue le plus souvent autour de la bouche, en lien avec une certaine forme d’asymétrie dans les traits.
Un coin des lèvres un peu plus haut ou plus bas, un sourcil plus arqué. Parfois, un plissement des paupières, un très léger strabisme et dans la très grande majorité des cas, le porteur est une femme.
Tout cela ne fait que mettre en évidence les attentes sociales et les normes culturelles attachées à notre conception de la féminité. On attend d’une femme qu’elle soit accessible et aimable. Si elle ne l’est pas, on le lui fait payer : vous seriez plus jolie avec un sourire ou on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Remarques qu’on n’adresserait jamais à un homme. Oui, c’est prouvé, sourire booste l’humeur (la sienne et celle des autres), mais dans certains cas, cela peut aussi relever d’une forme de soumission. Morale de l’histoire : l’absence de sourire n’est certainement pas un indicateur fiable de l’humeur.